Entre ‘‘ségrégation ethnico-raciale’’ et ‘‘nécessité de protection de la Nation’’
Le débat de fond soulevé par la proposition de loi ‘‘Tshiani’’
‘‘Si nationalité, c’est contentement, État, c’est contrainte.”
Henri-Frédéric Amiel, écrivain suisse, Fragments d’un journal intime, (27 septembre 1821 – 11 mai 1881).
Noël Tshiani Muadiamvita est un homme politique congolais. Il se singularise par ses prises de position tranchantes sur le développement économique de la République démocratique du Congo et le progrès social de sa population[1]. Aussi se particularise-t-il par ses réflexions pointues sur la Nation en tant que Collectivité et, surtout, moule identitaire décisif au façonnement de la Citoyenneté au sens politique du terme.
En effet, force est de souligner que Noël Tshiani Muadiamvita vient de provoquer une véritable onde de marée dans le microcosme national en pilotant une proposition de loi exclusive qui réduirait l’accès à des plus hauts postes politiques, administratifs et gouvernementaux du pays aux seuls Congolais d’origine[2]. C’est-à-dire : des sujets de ‘‘père’’ et ‘‘mère’’ d’origine congolaise, dont les origines se rattachent spécifiquement aux ethnies et tribus de la République démocratique du Congo. Ce qui a, néanmoins, provoqué, un tollé assourdissant. Un sentiment de répulsion et de dégoût auprès des ressortissants congolais dont l’un des parents est forcément et logiquement d’origine ‘‘étrangère’’.
Ce qui est clair, au-delà de la passion et de l’acrimonie générées par cette proposition de loi ‘‘Tshiani’’, il existe sans conteste une série de questions de fond soulevées par ce projet en pleine gestation. En effet, au-delà de la revendication politique qui touche la protection des institutions politiques et étatiques de toute infiltration étrangère et, par ricochet, la défense de l’indépendance nationale, le principal point manifestement soulevé par Noël Tshiani Muadiamvita est implicitement la ‘‘politique d’intégration’’.
Relativement à la formulation de sa proposition de loi sur la nationalité précise des animateurs des plus hauts postes politiques, administratifs et institutionnels du pays, existe-t-il, en vérité, une politique d’intégration des collectivités étrangères digne de nom ? Dans son application pratique, celle-ci est censée fédérer les enfants issus de couples mixtes ou de familles étrangères ayant littéralement opté pour la Citoyenneté congolaise autour de l’idée d’appartenance à la Nation et de loyauté sans faille à l’État congolais. Mais, qu’en est-il réellement ?
Si elle existe certes, sur quoi cette politique intégrative se fonde-t-elle exactement ? Du point de la morale civique, quels en sont véritablement les piliers ? Si elle n’existe point cependant, y a-t-il politiquement ou sociologiquement des raisons objectives ou subjectives qui justifieraient plutôt cette inexistence résolument criante et flagrante ? Si elle n’existe pas du tout, n’est-ce pas là aussi une occasion en or pour la peaufiner dans le dessein d’assurer l’adhésion collective et, par ricochet, la cohésion nationale ?
Toutes ces questions sont posées dans la mesure où les enfants directement issus de couples mixtes ou de familles étrangères sont quotidiennement accusés de traîtrise à la Nation et même de collaborationnisme avec de puissants intérêts anti-patrie. À ce propos, les exemples abondent sous la période effervescente de la décolonisation[3]. Tout comme sous l’ère macabre de la tyrannie[4].
Par ailleurs, la question de la présence effective des personnes d’origine étrangère au sein des institutions politiques et administratives de la République démocratique du Congo a été réglée par le protocole d’Accords de Lusaka des juillet et août 1999 et par le processus de négociations politiques inter congolaises en Afrique du Sud (Pretoria 2002) et Sun City (2003). À cet égard, ce règlement évidemment obtenu dans la douleur consécutive à une violence physique inouïe est-il en soi définitif ? Doit-on nécessairement le rouvrir ou le revisiter à la sauce Tshiani ? Par voie de conséquence, qu’est ce qui pourrait alors justifier de nos jours son remaniement et même son rejet ?
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
[1] Noël Tshiani Muadiamvita est, en fait, un universitaire. En qualité d’ancien fonctionnaire international, il a bel et bien œuvré pour la Banque mondiale. Lors de son passage dans cette institution établie à Washington, il a, d’ailleurs, confectionné divers projets de développement pour sortir du coma des pays du Tiers-Monde dont les économies sont, par définition, étroites ou mal-en-point
[2] La proposition du Dr Noël Tshiani Muadiamvita vise à exclure systématiquement et automatiquement les Congolaises et Congolais dont l’un des parents présente réellement des origines étrangères à des postes dits de ‘‘souveraineté’’. Force est d’admettre que ceux-ci exigent, à n’en point douter, à leur titulaire une loyauté sans faille envers l’État et la Nation. C’est-à-dire : la présidence de la République, la primature, la présidence du Sénat et de l’Assemblée nationale, la direction l’état-major des forces armées, y compris celle des services de renseignement.
[3] Les personnes métisses et mulâtresses sont accusées de collusion politique avec le pouvoir colonial (Albert Delvaux, dit Mafuta Kizola, Mario Philippe Cardoso (Losembe Batwanyele) et José Nussbaumer du collège des commissaires généraux, Michel Collin (Nlandu Mphemba), etc.).
[4] Cette notion de trahison politique à la Nation a été fréquemment évoquée à l’encontre des personnalités métisses ou mulâtresses voire même étrangères. Occupant des postes stratégiques, celles-ci ont loyalement servi sous les présidences absolues de Mobutu Sese Seko du Zaïre (le Portugais Jean Seti Yalé, le Judéo-polonais Léon Lubitch ou Leibovitch, dit Kengo wa Dongo, le Rwandais Barthélémy Bisengemena Rwema), Mzee Laurent-Désiré Kabila (les Tutsis Banyamulenges Bizima Karaha et Déogratias Bugera) ou Joseph Kabila Kabange (le Tutsi rwandais Azarias Ruberwa Manywa, le Burundais Alexis Thambwe Mwamba et le Hutu rwando-burundais Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi), le Judéo-Italo-gréco-zambien Moshe Nissim Soriano D’Anagno (Moïse Katumbi Chapwe) etc.
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