BONNE ET HEUREUSE ANNEE 2004

En ce jour de nouvel an 2004, je vous adresse mes voeux les plus chaleureux. J’aurais volontiers souhaité crier « BONNE FETE ! » et « BONNE ET HEUREUSE ANNEE 2004! ».

Mais, dans l’état actuel de délabrement avancé de nos conditions économiques, sociales et morales d’existence, je ne peux me le permettre. Ce serait une hypocrisie indigne de notre Parti. Ce serait même un cynisme. Car dans leur écrasanté majorité, nos familles – que la répression, les pillages, les guerres et les inégtalités ont dispersées et précipitées dans la misère- n’ont en ce jour ni abri décent, ni nourriture, ni eau courante, ni un simple habit décemment posé sur les os pour cacher la pudeur. Aucune famille congolaise n’a de quoi pavoiser en ce jour de liesse. Je me refuse à vous railler par un voeu mal placé qui, au lieu de vous réjouir, vous offenserait outrageusement.

Nous nous sommes permis d’aller trop loin dans notre déchéance. La détresse de nos enfants, à Noel et au jour du nouvel an, constitue la principale mesure de cette insoutenable calamité sociale et humaine. Cette situation dure depuis des décennies, et n’arrête pas d’empirer. Il est à craindre que ceux qui en bénéficient et ceux qui en meurent de misère et d’indignité finissent par la trouver normale. Et pourtant, notre peuple est- littéralement « sonné », les jeunes en toute première ligne.

Le jour du Nouvel An est une fête de famille, surtout l’occaésion pour les enfants de s’abandonner à la tendresse de ceux qui les entourent.

En ce jour, les rares enfants congolais qui ont échappé au recrutement des milices depuis 1996 ont souvent de leurs familles l’image et le souvenir amer d’un lieu de supplice sans nom, d’une vallée des larmes où manquent nourriture, tendresse, soins de santé, ressources pour l’éducation et espoir pour un avenir de rêve. Ceux des enfants enrôlés de force dans des milices commencent certes à nous être restitués, mais souvent borgnes, mutilés par des bombes, et simplement privés de cette innocence du regard qui fait de tout enfant un être candide. Les revenants sont donc estropiés et littéralement sinistrés. Ils n’ont plus de famille en ce jour de nouvel an qui puisse, par quelques gestes de tendresse, les consoler de la perte cruelle de leur jeunesse.

Nombreux parmi nos enfants sont seuls à seuls, hors de leurs familles, en ce jour de nouvel an. Tout les a éloignés de leur cercle familial: le manque d’un toit décent où s’abriter, la faim de tous les instants, les interminables disputes et scènes de violences, la promiscuité et la déscolarisation involontaire. Ces enfants errent dans nos rues et cdarrefours, par milliers des milliers, en misérables silhouettes livrées à la mendicité. Dans leur majorité, ils sont nos bagnards, traités en abominables « sorciers » que les familles rongées par la misère ont abandonnés dans des égouts. Ces innocents fêtent le nouvel an à leur manière. Dans les égouts et les marchés où ils dorment empilés les uns sur les autres, ils sont à l’école de la haine contre le Congo et contre l’humanité entière. Dans d’impitoyables batailles rangées qu’ils se livrent entre eux au quotidien, ils préparent une guerre sans merci contre notre société, quel que soit l’ordre que nous décidions d’y faire régner. Ce laborieux apprentissage à l’école de la haine continue, jusqu’en ce jour de nouvel an.

Faut-il suivre nos « voeux de bonheur et de prospérité » dans ces cavernes et ces égouts?

Peut-être vaudrait-il mieux les réserver aux seuls enfants demeurés pensionnaires dans nos familles, mais ceux-ci en voudraient-ils vraiment?

Hélas non! Ces enfants n’ont pas davantage besoin de nos voeux. Parmi eux, une mince poignée -moins de 45% en 2003- ont juste appris à lire et à écrire approximativement. Ils sont, à juste titre, jusqu’en ce jour de nouvel an, préoccupés de savoir par quelle fatalité quelques compagnons de classe ou de quartier ont succombé à la moindre attaque de la malaria. Ils se demandent à quoi tant d’efforts à l’école devraient finalement servir. Devant eux, en effet, une barrière financière et très souvent infranchissable vers une formation scolaire plus avancée. Leurs aînés ayant miraculeusement franchi cette barrière, ne constituent pas à leurs yeux des exemples encourageants. Loin s’en faut.

En effet, la vie des lycéens, collégiens et universitaires, est dans notre pays un véritable « parcoursdu combattant »: auditoires bondés et surchauffés; cours souvent bâclés par des enseignants affamés, très mal rémunérés et guère recyclés; bibliothèques pillées et ouvrages transformés en papiers d’emballage; laboratoires vides relégués dans des pièces mal éclairées; etc. En outre, la charge financière de ces études repose sur les épaules de la plupart des jeunes apprenants, leurs familles étant généralement démunies. Les étudiants les moins mal lotis achètent et revendent des devises; les autres, pour simplement survivre, achètent et revendent tout, y compris ce qui loeur colle encore à la peau comme dignité.

L’épopée scolaire de ces quelques enfants rescapés de l’enfer des égouts , aboutit rarement à un brevet ou à un diplôme obtenu à l’arrachée, sur une durée souvent plus longue que prévue. C’est alors que les vraies difficultés de la jeunesse s’amplifient. La perspective d’emploi est inexistante. Dans le cas d’une occasion inespérée d’embauche , les conditions de travail sont simplement inhumaines; les niveaux de salaire sont une cruelle offense à la vie et à la dignité; les possibilités de fonder un foryer, de lui donner un abri et de lui garantir un minimum de subsistance, sont simplement inexistantes.

Quels « voeux de bonheur et de prospérité » envoyer à ces déshérités, à ces jeunes parias de notre système social inhumain, en ce jour de nouvel an?

Combien de ménages congolais, combien de communautés de résidence, échappent à cette misère des jeunes, témoin de notre indignité collective? Ménages de médecins ou d’ingénieurs? Foyers de professeurs ou d’agronomes? Couvents de religieux ou hospices de vieillards? Orphelinats ou bivouacs des militaires? Camps de travfailleurs ou mess des officiers? Agglomérations paysannes ou hameaux de pêcheurs?…

Non. Une misère noire a étendu son voile sur l’ensemble de nos conditions d’existence. Les miraculés se comptent sur les bouts des doigts. Mais ils sont tous en sursis. Davantage que la chance, l’injuste répartition des revenus et des opportunités entre Congolais les a favorisés, mais c’est souvent pour un laps de temps, au milieu de tout un peuple livré à la misère chaque jour davantage. Malheureusement, nous n’avons pas que la détresse des enfants comme défi.

Il y a des décennies, des contrées entières du Congo profond ont perdu jusqu’à l’usage du sel de cuisine, de l’huile, du savon de lessive, et du pétrole pour s’éclairer. Dans de vastes zones rurales du pays, toute une génération d’adolescents ignore jusqu’aux notions de routes carrossables, d’alphabet ou de sucre. Nos billets de banque sont littéralement inconnus dans plusieurs zones rurales où, à la faveur de la disparition des routes, l’économie monétaire a fait place au troc. Pendant des décennies, la brousse ou la forêt y a envahi les plantations et les carrières, principales sources de revenus monétaires.

Insensiblement, les habitants ont glissé dans l’oubli des objets d’utilité courante, perdant l’usage du drap après celui des chaussures, ensuite abandonnant l’usage du savon après celui des habits.

Quels « vœux sincères de bonheur et de prospérité » envoyer à ces milliers des milliers de déshérités congolais?

Les veuves, les orphelins, les déplacés de guerre, les vieillards abandonnés dans nos villages et nos hospices, peuvent-ils être davantage réceptifs à nos « sincères vœux de bonheur »? N’ont-ils pas plutôt besoin de soutien matériel et moral, d’affection et de nourriture, de tentes, de couvertures et d’hospitalité, d’assistance alimentaire et sanitaire, et de consolation?

Aui d’autres voudraient recevoir de nos « vœux sincères de bonheur et de prospérité »?

Nos salariés et nos fonctionnaires qui sont la plus parfaite illustration vivante de notre déchéance, comme État et comme communauté? Nos magistrats, nos médecins, nos enseignants, nos agronomes, nos techniciens, nos para-médicaux, nos vétérinaires, nos postiers, nos douaniers, nos policiers et nos militaires, croiraient-ils davantage aux « très sincères vœux de bonheur et de prospérité »? Non. Le seul rendez-vous qu’il faille leur fixer, c’est celui d’un ESPOIR RÉEL de vivre cette année nouvelle comme des être humains.

Puisse le Gouvernement de Transition comprendre que la consolidation de notre paix si chèrement acquise, passe par la RÉDUCTION DES INEGALITES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES au profit de l’écrasante majorité d’un peuple au milieu duquel huit habitants sur dix survivent avec moins de 1 dollar américain par jour. La question n’est pas tant celle de l’insuffisance des ressources; elle est plutôt celle d’un partage équitable et transparent. Nos ONG, notre Parlement, notre Société civile dans toutes ses sensibilités, nos associations patronales, nos syndicats ainsi que tous nos partenaires dans la coopération et la construction du renouveau démocratique, l’ONU, le CIAT, aideraient davantage cette Transition en poussant également dans cette direction. Les inégalités de revenus, associées à l’expatriation quotidienne de quelques fortunes et à la multiplication des missions officielles à l’étranger ont pour effet d’aggraver la misère sociale dans le pays.

Le budget de l’Etat qui entre en vigueur ce jour reste porteur d’intolérables inégalités et mérite, de ce fait, qu’une décision politique courageuse en ordonne une restructuration interne. La lutte contre la pauvreté pour laquelle des solidarités se sont mobilisées de par le monde en sera plus facilitée.

L’initiative PPTE ainsi que les engagements financiers récemment signés à Paris en faveur de notre pays nous allègent la charge de remboursement de la dette extérieure, et nous offrent des perspectives inespérées d’investissements dans nos infrastructures. Il suffit de tenir compte de notre part – si minime soit-elle – dans l’aidse octroyée à l’Union Africaine dans le cadre du NEPAD, pour constater, avec une lueur d’espoir inhabituelle dans nos regards, que la comptabilité de nos ressources d’investissements nous laisse une marge appréciable pour améliorer un tant soit peu les conditions de vie de notre peuple en comptant sur le peu des ressources budgétaires propres.

Combattants et Sympathisants de l’UDPS, Mes chers compatriotes,

Le Congo que nous sommes occupés tous ensemble, par notre lutte de tous les instants, à sauver des affres des guerres fratricides, n’est pas encore un espace d’espoir. Il n’a pas encore de destin pour les êtres humains que nous voulons redevenir. Il n’est même pas encore ce chantier où une volonté politique claire et des institutions appropriées mobilisent la nation vers la reconquête de notre destin.

A l’occasion des fêtes de fin d’année, il est extrêmement pénible de devoir vous renvoyer au visage, comme je viens de le faire, les images croisées de notrer insoutenable misère. Notre commun dénuement est une insulte à notre dignité, pour peu que nous nous souvenions que notre immense pays est scandaleusement comblé de ressources. Hélas! en ce « jour de fête » sans possibilité de fêter, il était de notre premier devoir de vous réveiller à ces dures réalités.

Notre long combat politique à l’UDPS n’a-t-il pas eu pour point de départ la conscience partagée de cette terrible déchéance, et le refus partagé de nous y résigner?

Nous ne sommes pas nés de la toute dernière pluie. Nous avons l’avantage de faire flotter le drapeau de l’UDPS sur le Congo pendant plus de deux décennies. Et nous avons le rare avantage de le faire flotter sur l’ensemble de l’immense territoire national. Ce double avantage nous vaut une connaissance profonde des différents visages qu’affiche notre détresse collective. Elle nous vaut également une lourde responsabilité. Il s’agit de la responsabilité que nous avons de mobiliser les consciences et les efforts, contre l’immense tort fait à notre existence et à notre dignité d’hommes par la gestion de nos libertés et de notre économie.

Au moment où vous vous attendiez sans soute à des vœux mille fois sincères de « bonne et heureuse année », je me limite à ne formuler à votre endroit que le « vœu de paix ». Le « vœu de prospérité » attendra que nous nous organisions de toutes nos forces pour rebâtir notre économie et revitaliser notre solidarité de destin. En clair, il attendra que nos enfants quittent les uniformes militaires, les égouts et la rue, les activités insalubres et les pratiques dégradantes.pour retrouver des familles dignes de les aimer, les protéger, les loger décemment, les nourrir et les vêtir comme des êtres chers, les faire étudier dans les meilleures conditions. Mais également pour retrouver un Etat de tous les Congolais, qui n’a d’autre légitimité que celle d’exploiter rationnellement nos ressources, pour le progrès social de tous les citoyens.

Par ma modeste voix, la direction politique de l’UDPS vous convie à méditer sur ces perspectives. Mais surtout elle vous invite à vous préparer sereinement et fermement aux référendum et élections prochains, un rendez-vous avec notre destin de peuple libre et de nation prospère.

En attendant, je vous renouvelle très sincèrement mes vœux de paix et de concorde nationale.

Étienne Tshisekedi wa Mulumba
Président National

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